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Extrait facsimilé de la 2ème éd. du N.T. bilingue grec-latin d’Érasme de Rotterdam imprimé par Johann Froben à Bâle en 1519. Page de gauche : Lettre de recommandation de l’œuvre par le pape Léon X. Page de droite : Lettre de dédicace de l’œuvre au même souverain pontife. Ce « vicaire du Christ », qui excommunia Martin Luther en 1521, joua un rôle décisif dans la création du textus receptus, allant jusqu’à censurer les critiques d’Érasme !

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Le “texte standard” du Nouveau Testament est un ensemble d’éditions académiques du N.T. grec réalisées aux XIXème-XXIème siècles dont le contenu provient principalement (mais pas exclusivement) des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type alexandrin antique. Le “texte reçu” du Nouveau Testament est un ensemble d’éditions du N.T. grec réalisées aux XVIème-XIXème siècles dont le contenu est dérivé en partie des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type byzantin médiéval, en partie de la Vulgate latine médiévale tardive, et en partie des aléas circonstanciels de la Pré-Réforme catholique, de la Réformation protestante puis de la Contre-Réforme catholique.

Chacun de ces deux ensembles – le texte standard et le texte reçu – constituent des textes de base qui servent à leur tour pour la traduction du N.T. en langue vernaculaire (c’est-à-dire en français, anglais, allemand, néerlandais, etc.). Ainsi, il y a des Bibles françaises dont le N.T. est basé sur le texte standard (comme la famille des Bibles Louis Segond, ou les Bibles Darby, Jérusalem et Semeur), et aussi d’autres Bibles françaises dont le N.T. est basé sur le texte reçu (comme les Bibles Martin, Ostervald ou Lausanne).

Une accusation qui est souvent dirigée par certains gens qui préfèrent les Bibles basées sur le texte reçu contre les gens qui utilisent les Bibles basées sur le texte standard, est que ce texte standard remettrait en question des croyances centrales de la foi chrétienne telles que la compréhension orthodoxe (c’est-à-dire nicéenne & chalcédonienne) de la Trinité et de la divinité de Jésus-Christ. Par exemple, la Préface du N.T. de la Bible de Lausanne révisée (BLR, 2022) traduite par Timothy Ross et al. affirme :

« Les changements introduits par le texte critique [c-à-d le texte standard] touchent aussi aux doctrines fondamentales de la foi chrétienne. Rien que dans l’Évangile selon Matthieu, ce texte omet le nom ‹ Jésus › vingt-deux fois. La nouvelle méthode a également ressuscité des erreurs [sic] enterrées depuis des siècles dans une infime minorité de manuscrits. Ainsi la phrase ‹ Dieu a été manifesté en chair › (1 Timothée 3:16, Bible Martin et Bible de Lausanne) est devenue ‹ celui qui a été manifesté en chair › (1 Timothée 3:16, Segond). Cette dernière lecture qui porte atteinte à la doctrine de la divinité de Christ [sic!] est appuyée par moins de douze manuscrits sur les cinq mille existants [sic]. » (p. IV-V).

Le même genre d’attaque se retrouve également dans la brochure de Malcom Watts intitulée La Parole que donna le Seigneur – Histoire du texte biblique, publiée par la Société Biblique Trinitaire (SBT, qui est aussi l’éditrice de la BLR) en 2012 :

« Le texte de type alexandrin

[…] Ce type de texte est issu d’Alexandrie en Égypte [sic]. Nulle part les Écritures ne témoignent de la moindre présence apostolique dans cette région ; et l’histoire de l’Église révèle que bien des hérétiques notoires y résidèrent et y dispensèrent leurs enseignements, par exemple des gnostiques comme Basilide, Isidore, et Valentin. On doit considérer avec la plus grande prudence tout texte qui émane de cette région. […]
Les deux grands représentants de ce type de texte, les codex Aleph [01] (Sinaïticus) et B[03] (Vaticanus), sont de qualité particulièrement médiocre [sic]. […] Ces manuscrits principaux montrent à quel point ils sont corrompus […] on peut supposer que ces deux codex furent écartés à cause de leurs défauts […] on est en droit de penser que les premiers scribes doutaient de sa fidélité [du Codex Vaticanus]. Il se peut que les chrétiens orthodoxes des premiers siècles aient su que B[03] était corrompu […] les ‹ manuscrits les plus anciens › sont en fait les plus mauvais [sic]. » (p. 28-29).

Même rengaine dans la Préface de la King James Française (KJF, 2022) traduite par Nadine Stratford et publiée par la First Bible Church de Staten Island dans l’État de New York :

« Ces outranciers changements et édulcorations qui apparaissent dans les versions françaises de la Bible soulèvent des controverses et confusion. Ils vont même jusqu’à renier quelques-unes des doctrines fondamentales, telles que le salut par grâce par la foi en l’oeuvre achevée du Seigneur Jésus Christ, la Déité de Jésus Christ [sic], la naissance de Jésus Christ d’une vierge [sic], l’infaillibilité de la Bible [sic], l’omission du mot “sang” dans des douzaines de versets, pour ne citer que ces quelques erreurs majeures. » (p. II).

Bref, aux yeux de messieurs Ross et Watts, ainsi que de madame Stratford, le texte-type alexandrin antique, et par extension le texte standard moderne, sont des textes hérétiques anti-trinitaires. (S’ils hésitent à le dire explicitement, ils ne se gênent pas pour le sous-entendre implicitement dans le but de conduire leurs lecteurs à soupçonner les N.T. dérivant du texte standard d’être teintés par l’anti-trinitarisme.)

Mais est-ce vraiment le cas ? Les manuscrits grecs dits alexandrins et les Bibles françaises reflétant le texte grec standard rejettent-ils ou diminuent-ils véritablement la divinité et la majesté de Jésus-Christ ? Les tableaux comparatifs contenus dans le document ci-dessous prouvent que ce n’est absolument pas le cas ! Bien au contraire, dans une multitude de lieux-variants, le texte standard véhicule une christologie plus orthodoxe ou plus élevée que le texte reçu (qui fait même pâle figure en comparaison).

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La christologie du texte standard est souvent supérieure à la christologie du texte reçu

Document aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

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Les allégations ou insinuations d’hérésie anti-trinitaire reproduites ci-dessus n’ont donc aucun fondement théologique ou factuel. Elles peuvent et doivent par conséquent être qualifiées de calomnies et de médisances.

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« Ceux qui ont fait de nouvelles traductions du Nouveau Testament [aux XVIe-XVIIe siècles] sur le grec n’ont pas été tous exacts dans leurs versions, parce qu’ils n’ont consultés qu’un petit nombre d’éditions grecques [c-à-d le “texte reçu”] ; au lieu qu’ils doivent aussi consulter plusieurs exemplaires manuscrits qui fournissent un grand nombre de leçons [comme le font aujourd’hui ceux qui établissent le texte standard Nestle-Aland]. » — Richard Simon, Histoire critique du texte du N.T., 1689, p. 344

Folio du lectionnaire l2144, copié vers l’an 1250, portant le texte de Luc 22:32-39 (New Testament Virtual Manuscript Room)    C’est surtout la liturgie ritualiste de l’Église grecque d’Orient qui explique la prédominance du texte-type byzantin parmi les manuscrits grecs du N.T. au Moyen Âge

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Dans le dernier quart du XXème siècle et le premier quart du XXIème, plusieurs académiciens chrétiens évangéliques dans l’Anglosphère ont produits des éditions de référence du Nouveau Testament grec basées – en théorie – sur la majorité des manuscrits grecs du N.T. (représentée par le symbole 𝕸), chose qui n’avait jamais été faite auparavant. Il s’agit du Greek New Testament According to the Majority Text de Zane Hodges et Arthur Farstad, du New Testament in the Original Greek (Byzantine Textform) de Maurice Robinson et William Pierpont, ainsi que du Greek New Testament According to Family 35 de Wilbur Pickering.

Ces textes de base 𝕸 ont à leur tour été utilisés pour produire de multiples traductions du Nouveau Testament en langue anglaise. En ce sens, le texte 𝕸 de Hodges-Farstad fut traduit dans la Majority Standard Bible (MSB, 2023) par BibleHub inc. Semblablement, le texte 𝕸 de Robinson-Pierpont fut traduit dans la English Majority Text Version (EMTV, 3ème éd. 2009) par Paul Esposito puis dans la Byzantine Text Version (BTV, 2021) par Robert Adam Boyd.

En outre, la World English Bible (WEB, 2020) est, pour le N.T., une traduction éclectique dérivée simultanément du texte 𝕸 de Hodges-Farstad et du texte 𝕸 de Robinson-Pierpont, effectuée par une équipe dirigée par le chrétien charismatique Michael Johnson. De surcroît, le texte grec de la “Famille 35” de Pickering – basé sur un groupe de ± 220 manuscrits comparativement homogène qui correspond à l’aboutissement très tardif du texte-type byzantin médiéval (XIII-XVèmes siècles) – fut traduit par ce même Pickering en anglais (1ère éd. 2013) et aussi en portugais (1ère éd. 2023).

Enfin, toujours en anglais, nous pouvons aussi mentionner la Eastern Orthodox Bible (EOB, 2013) du presbyte Laurent Cleenewerck, qui est une traduction du “texte patriarcal” (TP) établi par Vasileios Antoniades en 1904, à savoir le texte néotestamentaire grec officiel du Patriarcat œcuménique de Constantinople (c-à-d l’Église grecque pseudo-orthodoxe d’Orient), également diffusé par la Société biblique hellénique. Ce TP, malgré qu’il ne s’appuie pas sur une base manuscrite aussi large que les éditions occidentales protestantes du texte 𝕸, leur est identique à 98.5 %.

Pendant ce temps, en Francophonie, nous ne disposons toujours pas d’une seule traduction vernaculaire du N.T. s’appuyant sur le texte majoritaire ! Certes, la Bible de Yéhoshoua Mashiah (BYM, 2014) du pentecôtiste africain Shora Kuetu se présente comme s’appuyant sur le texte 𝕸 grec pour le N.T. Toutefois, cette BYM s’avère en réalité être une révision maladroite des vieilles versions françaises Martin 1744, Ostervald 1886 et Segond 1910 faite par un prêcheur anti-trinitaire ayant des compétences très limitées en langues bibliques.

Tout ceci étant dit, il est néanmoins pertinent pour les chrétiens francophones de se pencher sur les caractéristiques textuelles du texte 𝕸 grec, puisqu’une proportion substantielle des variantes textuelles des Bibles suivant le “texte reçu” (TR) proviennent de 𝕸, et que les Bibles TR françaises continuent à être révisées & rééditées aujourd’hui (par exemple Ostervald 2018 et Lausanne 2022).

Description générale des variantes du texte-type byzantin

« Byzantin (ou Koiné) : Ce texte amalgamé, qui émousse les difficultés et harmonise les différences, fut utilisé dans la liturgie de l’Église byzantine (devenant quasi normatif à partir du VIe siècle) ; il est généralement considéré comme un développement tardif et secondaire. Pourtant, certaines de ses lectures sont anciennes et remontent à l’Église d’Antioche vers 300 [et même parfois – quoique très rarement – dans des papyri égyptiens vers 200-250]. » (Raymond Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Bayard Éditions, 2000, p. 87-88).

« Le texte byzantin n’apparaît pas avant le IVe siècle : ses premières attestations sont les citations des Pères cappadociens (Grégoire de Nysse, Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée), vers 350 ; il a comme origine probable la révision faite par Lucien d’Antioche vers 300 […] Le type byzantin présente de nombreuses additions par rapport au texte alexandrin [qui est nettement plus proche du texte original rédigé par les auteurs inspirés au Ier siècle.] […] Le texte byzantin devient celui en usage dans la liturgie de l’Empire byzantin, il remplace ainsi progressivement ses concurrents, qui subsistent cependant ça et là. Le texte byzantin devient au Moyen Âge le texte dominant, sans doute répandu par l’usage liturgique. Sous cette forme médiévale, il n’existe sans doute par avant la recension de Lucien dont il est [notamment] le résultat. » (Christian-Bernard Amphoux, Manuel de critique textuelle du Nouveau Testament, Éditions Safran, 2014, p. 32-33).

« Pour le sujet qui nous occupe, un autre type de transformation est plus significatif : c’est celui qui conduit à un texte plus compréhensible. De telles modifications ont lieu, consciemment ou inconsciemment. Le plus souvent il s’agit d’‹ aider le texte › et non de le déformer. Ce type comprend d’une part l’explicitation (par ex. : un pronom ‹ il › est remplacé, à cause du contexte, par une désignation univoque de la personne concernée [comme c’est le cas en 1 Timothée 3:16 ou Jacques 1:12]), d’autre part l’adaptation de la formulation à des normes familières (par ex. : un terme de langue populaire est remplacé par un synonyme de la langue érudite, un terme inhabituel, difficile à comprendre par un autre plus courant, plus accessible [comme c’est le cas en Jacques 1:5]). […] Il y a une force probante particulièrement grande dans ces leçons qu’on trouve en très grand nombre, mais qui sont dénuées d’importance du point de vue de leur contenu (du point de vue théologique) et dont on ressent nettement le caractère secondaire. À leur lumière, il devient pratiquement inévitable de conclure que par rapport au texte alexandrin […] le texte majoritaire offre une proximité moindre envers l’original. À cela s’ajoute encore [le fait que] ce type de texte est également moins proche chronologiquement de l’original. » (Heinrich von Siebenthal, “Nos traductions du Nouveau Testament ont-elles une base textuelle fiable ?”, Théologie évangélique (FLTÉ), 2:3, 2003, p. 235-236).

« D’accord en cela avec tous les savants travaillant dans le respect de l’histoire, les exégètes sont conscients que la qualité prime la quantité. […] L’enjeu, c’est d’établir quel degré de proximité on peut reconnaître aux sources par rapport à la vérité qui nous intéresse, c’est-à-dire par rapport au libellé original. Ce qui est décisif à cet égard, c’est non seulement la proximité dans le temps, mais aussi du point de vue du contenu. […] [L]e texte alexandrin peut clairement revendiquer une plus grande proximité de l’original que le byzantin. Autrement dit, malgré une majorité de sources qui l’attestent [≈ 85 % des manuscrits au total], le texte byzantin doit être qualifié de moins bon de par sa proximité de l’original vue sous l’angle de la chronologie et du contenu. » (Heinrich von Siebenthal, loc. cit., p. 232).

« Le texte byzantin s’impose comme un bon texte [sic] pour l’usage ecclésial [c-à-d liturgique], lu pendant l’office, commenté par les Pères [cappadociens]. Conformément à la révision de Lucien ou dans sa continuité, il est à la fois correct, élégant et explicite, pour ménager la compréhension à simple audition. Il est, de plus, confluent : à maintes occasions, il ne choisit pas entre les variantes antérieures, mais les juxtapose de manière à produire un texte où chacun retrouve sa tradition. » (C.-B. Amphoux, Manuel, op. cit., p. 300).

« Le texte byzantin […] remplace [les textes césaréen, alexandrin et occidental] à partir du IVe siècle, mais il ne se stabilise lui-même que lentement, son évolution durant jusqu’au IXe siècle [et même jusqu’au XVe siècle !]. Le trait le plus remarqué est l’abondance des pronoms, pour expliciter le sens du texte. Le deuxième trait est le souci de contenir toutes les traditions, il a donc tendance à être long. Cette forme a été dominante au Moyen Âge [en Orient hellénique]. » (C.-B. Amphoux, Manuel, op. cit., p. 302).

« Quant à la prédominance des sources byzantines dans les siècles ultérieurs, elle s’explique mieux par les deux facteurs suivants.
Première raison : Lors de la constitution du Nouveau Testament, le grec était la langue internationale du bassin méditerranéen : même la Lettre aux chrétiens de Rome n’a pas été rédigée en latin, mais en grec ! Après la division de l’Empire romain à la fin du IVe siècle, le grec a perdu son hégémonie [en Occident] et sa sphère d’utilisation s’est presque réduite à la seule Grèce elle-même [ou plus précisément aux territoires sous la juridiction de l’État byzantin et démographiquement hellénophones], où on a continué à l’employer jusqu’aujourd’hui. Il en est résulté qu’avec le temps, le Nouveau Testament grec n’a continué à être transmis que dans la sphère d’influence de Byzance et cela avec les traits dès lors caractéristiques de cette région.
Deuxième raison : Si la transmission du texte alexandrin et du texte ‹ D › [c-à-d du texte-type occidental] a fini par s’interrompre, c’est non seulement parce que le grec n’était plus la langue courante dans les régions concernées, mais surtout parce qu’après la conquête musulmane des pays jusqu’alors marqués par le christianisme, au VIIe siècle, le christianisme, et donc la transmission de la Bible sous la forme caractéristique de cette région, sont devenus des faits marginaux [ou bien cette transmission a adopté les traits ethno-linguistiques propres aux minorités chrétiennes sous domination islamique, tels le copte en Égypte, l’araméen / syriaque / chaldéen au Levant & Mésopotamie, l’arménien en Anatolie orientale, le géorgien au Caucase méridional, etc.]. » (Heinrich von Siebenthal, loc. cit., p. 237).

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Carte des confessions chrétiennes dans le monde méditerranéen au Haut Moyen Âge

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Carte de l’Empire byzantin (1025-1350) où furent produits la plupart des manuscrits néotestamentaires grecs du texte-type dit majoritaire

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Réfutation de l’idée de supériorité du texte majoritaire du N.T.

Les citations et observations contenues dans le document ci-dessous expliquent plus en détail pourquoi le “texte majoritaire” (𝕸) n’est pas qualitativement supérieur au “texte standard”, pourquoi ce “texte majoritaire” est beaucoup moins majoritaire qu’il n’y paraît à première vue, et aussi pourquoi le “texte reçu” (TR) est encore moins majoritaire que le texte byzantin dont il provient partiellement.

Document aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

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Le texte-type byzantin n’est, en réalité, véritablement « majoritaire » parmi les manuscrits du Nouveau Testament qu’à partir du IXème siècle (!)…

Distribution des manuscrits grecs du N.T. par siècle et par texte-type (Daniel Wallace, JETS, 1994, p. 206)

Folio du Codex Washingtonensis III (W032) copié vers l’an 400, conservé au Freer Gallery of Art de la Smithsonian Institution à Washington (D.C.), portant le texte de Marc 5:26 à 5:37 où il transitionnerait, au v. 31, du texte-type occidental au texte-type césaréen

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Nous avons vu, précédemment, en quoi consiste la critique textuelle du Nouveau Testament, et pourquoi cette démarche érudite est tout à fait conforme à l’orthodoxie réformée confessionnelle historique et à l’héritage de la foi évangélique traditionnelle. Nous nous penchons maintenant sur l’identité des textes-types du N.T.

Dans leur analyse comparative des 6000+ manuscrits grecs du Nouveau Testament, les spécialistes de la transmission du N.T. regroupent les différents manuscrits – ou plus exactement les différents textes portés par ces manuscrits – en des catégories (qu’on appelle des textes-types) en fonction de leurs caractéristiques textuelles et para-textuelles communes.

Ces textes-types dans les manuscrits grecs antiques et médiévaux sont au nombre de quatre : Il s’agit du texte-type alexandrin, du texte-type byzantin, du texte-type occidental et du texte-type césaréen. (Quant aux éditions imprimées modernes du N.T. grec, il s’agit du texte standard – aussi appelé texte critique – qui est surtout basé sur le texte-type alexandrin, du texte dit majoritaire qui est dérivé du texte-type byzantin, et du soi-disant “texte reçu” qui est surtout un mélange du texte byzantin avec des éléments de la Vulgate latine.)

Une petite mise en garde préalable s’impose avant de se lancer dans l’étude des textes-types néotestamentaires : Cette classification quadripartite ne doit jamais nous faire perdre de vue que dans leur globalité, les textes de ces quatre textes-types sont identiques à environ 90 %. Leurs divergences mutuelles ne concernent qu’approximativement 10 % du texte, et parfois encore moins (ainsi, le texte standard/alexandrin et le texte majoritaire/byzantin se corroborent à ≈ 94-96 %).

Ces texte-types ne sont pas des ensembles monolithiques

Cette classification en quatre textes-types ne signifie pas que chacun de ces textes-types forme un groupe parfaitement homogène, rigide et monolithique. Au contraire, il existe beaucoup de variantes textuelles à l’intérieur de chaque texte-type ; ils partagent simplement assez de caractéristiques textuelles communes pour être considérées comme appartenant au même texte-type.

Malgré cette classification quadripartite, certains manuscrits qui sont en général représentatifs d’un texte-type peuvent occasionnellement contenir des variantes en général associées à un autre texte-type. Ce phénomène est parfois aléatoire, et parfois « organisé ». Par exemple, sur un total de 100 variantes dans un manuscrit fictif ABC-123, 80 % des variantes pourraient être caractéristiques du texte-type alexandrin et être réparties proportionnellement dans tout ce manuscrit, 10 % des variantes pourraient être caractéristiques du texte-type occidental et être dispersées dans tout ce manuscrit, et le 10 % des variantes résiduelles pourraient être caractéristiques du texte-type byzantin et être concentrées dans le dernier quart du manuscrit.

En outre, certains manuscrits sont des assemblages de différents « blocs ». À titre d’exemple, dans un manuscrit composite fictif DEF-456, les Évangiles pourraient être représentatifs du texte-type alexandrin, les Actes et les épîtres pauliniennes pourraient être représentatifs du texte-type occidental, puis les épîtres générales et l’Apocalypse pourraient être représentatifs du texte-type byzantin. Ou encore, dans un manuscrit fictif XYZ-789, les Évangiles de Matthieu et de Marc pourraient être du texte-type césaréen, puis les Évangiles de Luc et de Jean pourraient être du texte-type occidental. Ce phénomène est appelé « mixité de blocs » (block mixture).

Le texte “alexandrin” vient d’Asie Mineure et non d’Égypte

Il importe de comprendre que les noms donnés par convention à ces divers textes-types ne nous renseignent pas nécessairement sur leur véritable origine géographique respective. Ainsi, le vocable « alexandrin » (qui est attribué au texte-type réunissant des anciens papyri du tournant du IIIème siècle et les grands onciaux du début-milieu du IVème siècle) se nomme ainsi essentiellement parce que le 1er manuscrit de ce courant à devenir passablement bien connu en Occident moderne – à savoir le Codex Alexandrinus (A02) arrivé à Londres entre 1621 et 1627 – fut donné au roi d’Angleterre et d’Écosse par un ex-patriarche grec d’Alexandrie en Égypte, Cyrille Loukaris. Celui-ci avait trouvé cet ancien codex dans la bibliothèque patriarcale d’Alexandrie, mais ignorait qu’il provenait à l’origine de Constantinople et qu’il n’avait été apporté en Égypte qu’en 1308.

En réalité, les 1ères attestations textuelles connues de variantes caractéristiques de tous les textes-types grecs se retrouvent dans des papyri découverts en Égypte où ils ont survécus à cause du climat désertique très sec. Ces papyri des II-IIIèmes siècles, ainsi que les citations patristiques de Clément d’Alexandrie et d’Origène d’Alexandrie, prouvent que des variantes de tous les textes-types néotestamentaires étaient connues en Égypte dès l’époque la plus reculée. Si le texte-type alexandrin est prédominant parmi ces sources, c’est simplement parce que c’est ce type qui est le plus ancien et qui transmet – en général – le plus fidèlement le texte original du Ier siècle.

Pour le N.T., il n’existe pas la moindre preuve d’une recension textuelle qui aurait prétendument été orchestrée par le catéchète Pantène d’Alexandrie (natif de Sicile, fl. 180-192, † c. 216) ou par le mystérieux grammairien Hésychios d’Alexandrie (qui n’était même pas chrétien et dont on ignore s’il vécut au IVème et/ou au Vème s.), recension imaginaire dont le texte-type dit alexandrin serait supposément le résultat. Cette allégation colportée par les adeptes du texte reçu et du texte majoritaire est un stratagème rhétorique malhonnête pour tenter de faire naître le texte-type dit alexandrin en Égypte et ainsi de le lier à l’ésotérisme gnostique puis à l’hérésie arienne. De surcroît, ce stratagème rhétorique est absurde vu que le gnosticisme et l’arianisme étaient répandus dans presque tout l’Empire romain, pas juste en Égypte.

Les faits sont têtus : La proximité textuelle entre P75 et B03 dans les Évangiles de Luc & Jean, entre P46 et B03 dans les Épîtres pauliniennes non-pastorales, entre P66 et 01 dans l’Évangile de Jean, entre P64+67 & P77+103 et 01 dans l’Évangile de Matthieu, ainsi qu’entre P13 et B03 de même qu’entre P46 et 01 dans l’Épître aux Hébreux, etc., invalident chronologiquement la thèse invraisemblable d’une recension alexandrine par le païen Hyséchios. (Neville Birdsall, “Textes et versions”, Grand Dictionnaire de la Bible, Éditions Excelsis, 2010, p. 1662-1663 ; Philip Comfort, “The Most Reliable Witnesses”, New Testament Text and Translation Commentary, Tyndale House Publishers, 2008, p. XVI-XXIII).

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L’origine asiate / ionienne / ouest-anatolienne du texte-type dit alexandrin expliquée par Peter Rodgers (pasteur épiscopalien et professeur de N.T. au Fuller Theological Seminary à Sacramento en Californie) :

Le texte “occidental” n’est pas né en Occident

Semblablement, le vocable « occidental » est donné au texte-type portant ce nom parce que les deux 1ers manuscrits de ce courant à devenir passablement bien connus en Europe moderne – à savoir le Codex Bezæ (D05) et le Codex Claromontanus (D06) – furent respectivement dénichés par Théodore de Bèze à Lyon et à Clermont-de-l’Oise en France (c-à-d en Occident) au XVIème siècle. Toutefois, nous savons aujourd’hui que même si le Codex Bezæ fut vraisemblablement copié en Gaule méridionale au début du Vème siècle – probablement à Lyon ou à Vienne (Isère), ou possiblement à Clermont-Ferrand (comme le spéculait Bèze) – sa filiation textuelle remonte à Smyrne en Ionie (c-à-d en Orient) vers la fin du IIème siècle. Selon l’hypothèse la mieux accréditée, l’exemplaire depuis lequel aurait été copié D05 aurait été apporté dans la vallée du Rhône par le 1er pasteur de l’Assemblée chrétienne de Lyon, Pothin de Lyon († 177), natif d’Asie Mineure qui fut envoyé en Gaule par Polycarpe de Smyrne, ou sinon par son 2ème pasteur, Irénée de Lyon († 202), lui aussi un émule asiate de Polycarpe.

Certes, le Codex Claromontanus (D06) fut copié en Italie méridionale à la fin du Vème siècle, et deux autres importants témoins du texte-type dit occidental, le Codex Augiensis (F010) et le Codex Boernarius (G012), copiés au IXème siècle, viennent respectivement de l’Abbaye de Reichenau et de l’Abbaye de St-Gall en Germanie méridionale. Cela paraît situer ce texte-type en Occident. Cependant, la Vieille syriaque (version des Évangiles, Actes et Épîtres de Paul en araméen antérieure à la Peshitta) est un témoin du texte-type dit occidental ; elle confirme l’ancrage de ce texte-type en Orient environ 150 ans avant la production de D06 et un bon demi-millénaire avant la production de F010 et G012. (C.-B. Amphoux et J.-C. Haelewyck, Manuel de critique textuelle du Nouveau Testament, Éditions Safran, 2014, p. 21-22, 28-29, 102-103 et 272-273 ; Robert Waltz, “Manuscript F (010)” et “Manuscript G (012)”, Encyclopedia of Textual Criticism, en ligne).

Tableau-synthèse sur l’origine géo-chronologique des textes-types du N.T.

Voici un tableau synthétisant l’information basique sur l’origine géographique et chronologique des divers textes-types du Nouveau Testament grec (appuyé par moult références bibliographiques) en une seule page :

Ce tableau est aussi accessible sur Calaméo ou en téléchargement direct ici.

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Quelques précisions s’imposent :

  • Pour les fins de ce tableau, « centres d’origine » signifie aussi « centres de diffusion » (j’ai manqué d’espace pour l’ajouter). Ainsi, par exemple, nous savons par l’intermédiaire de la Vetus Latina (« Vieille latine », c-à-d la version de la Bible en latin antérieure à la traduction de la Vulgate par Jérôme de Stridon et Rufin le Syrien) qui était utilisée par des Pères de l’Église au Maghreb comme Tertullien de Carthage, Cyprien de Carthage en Augustin d’Hippone, que le texte-type occidental grec a été diffusé dans – et depuis – l’Afrique du Nord, puisque cette Vetus Latina fut traduite à partir de manuscrits grecs du texte-type occidental.
  • Ce tableau présuppose l’axiome selon lequel le lieu de découverte d’un manuscrit ou le lieu de popularité d’un texte-type (ci-après « t-t ») n’est pas une preuve déterminante de l’origine géographique du t-t concerné. En effet, les gens, les livres et les idées circulaient en Antiquité gréco-romaine comme ils circulent aujourd’hui. Ainsi, la découverte des Papyrus 66 & Papyrus 75 ayant un t-t alexandrin en Égypte, de même que l’utilisation du t-t alexandrin par Athanase d’Alexandrie au IVème siècle puis par Cyrille d’Alexandrie au Vème siècle, ne prouvent pas que ce t-t provienne initialement d’Égypte. Mais dans ce cas, ce tableau se contredit-il en indiquant que le t-t alexandrin proviendrait notamment de Constantinople car A02 est retraçable jusqu’à cette cité ? Hé bien pour être franc, puisque ce ms est l’un des principaux témoins de ce t-t, il m’a semblé que je devais le mentionner en quelque part dans le tableau, et l’indiquer tel que je l’ai fait est le seul moyen que j’ai trouvé tout en faisant tenir le tableau annoté sur une seule page au format légal nord-américain (8½×14 pouces).
  • Similairement, y-a-t’il incohérence dans l’indication que le t-t césaréen puise notamment ses origines dans l’Oasis du Fayoum en Égypte car le Papyrus 45 et le Codex Washingtonensis III (W032) y ont été déterrés ? Honnêtement, peut-être ; cette indication se motive par le fait que le t-t césaréen est de loin celui pour lequel nous disposons du moins d’informations faisant consensus (son existence même est contestée par Kurt & Barbara Aland, mais ceci est exagéré). Plutôt que de ne rien dire, mieux vaut dire le peu que nous savons.

Extrait de la toute 1ère Bible illustrée imprimée par Günther Zainer à Augsbourg (Souabe, Allemagne du Sud) en 1474, conservée à la Bibliothèque de la Southern Methodist University à Dallas (Texas)

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Au XXIème siècle, certains chrétiens estiment que la plupart des éditions du Nouveau Testament utilisées par la plupart des chrétiens sont mauvaises et répréhensibles parce qu’elles ne sont pas basées sur le texte grec appelé texte reçu (qui fut utilisé autant par les protestants que par les papistes à l’époque de la Réformation protestante et de la Contre-Réforme catholique aux XVIème & XVIIème siècles), mais plutôt sur le texte grec appelé texte standard (établi aux XIXème & XXème siècles grâce à la redécouverte ou la revalorisation de manuscrits bibliques de l’Antiquité).

Dans cette étude, nous verrons dans un premier temps que l’orthodoxie protestante historique n’exige aucunement que les chrétiens évangéliques fassent un usage exclusif de Bibles dérivant du texte reçu (pour le N.T.). Nous enchaînerons en expliquant que même l’adhésion au texte reçu n’élimine pas la nécessité impérative de la critique textuelle. Enfin, pour boucler la boucle, nous constaterons – au moyen d’un survol historique – que la critique textuelle est un vecteur de la providence rédemptrice de Dieu.

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Cette étude sur Scribd :

Étude aussi accessible sur Calaméo et sur Issuu, ou en téléchargement direct ici.

Pour plus d’informations sur l’omission dans le “texte reçu” d’une clause scripturaire inspirée en 1 Jean 3:1, consultez ce fichier. Pour plus d’informations sur l’omission par le “texte reçu” de la Troisième Personne de la Trinité (Dieu l’Esprit-Saint) en Luc 10:21, consultez ce fichier.

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« Il n’y a que le seul Original des apôtres auquel on puisse attribuer cette perfection. » — Richard Simon, Histoire critique du texte du N.T., 1689, p. 344

« Les faits connus de la critique textuelle sont-ils en désaccord avec l’idée d’un texte original parfait ? Au contraire, l’ensemble du processus de cette critique puise sa signification dans la présupposition d’un tel texte. […] Conséquemment, les érudits orthodoxes poursuivent la recherche de ce texte avec enthousiasme. Chaque étape qu’ils franchissent dans le traitement des manuscrits existants résout une “difficulté”. » — Cornelius van Til, Introduction dans B.B. Warfield, The Inspiration and Authority of the Bible, P&R, 1948, p. 46

« Est-ce que nous avons maintenant [dans la masse des manuscrits] ce qu’ils [les auteurs inspirés du N.T.] écrivirent jadis ? Dans les moindres détails [cf. ponctuation, accentuation, stichométrie, etc.], probablement pas ; mais dans tous les éléments essentiels [c-à-d le contenu théologique & historique du message], absolument. Affirmation finale : Aucune doctrine essentielle de la foi chrétienne n’est menacée par une quelconque variante viable. » — Daniel Wallace, Introduction to New Testament Textual Criticism, BiblicalTraining.org, 2018, Class Outline, p. 84-85

« Nous avons le Nouveau Testament originel tel qu’il fut premièrement écrit. » — Daniel Wallace, loc. cit., Lesson 36 Transcript (non-paginé)

Parmi les plus de 6000 manuscrits grecs du Nouveau Testament actuellement répertoriés à travers le monde et conservés dans des bibliothèques publiques (nationales, municipales, etc.) ou des bibliothèques privées (universitaires, muséales, monastiques, etc.), on dénombre environ 450 000 variantes textuelles (c’est-à-dire des variations ou divergences dans le texte). Sur un texte de base d’environ 140 000 mots, cela fait en moyenne environ trois variantes par mot ! Toutefois, la très vaste majorité de ces variantes (plus des ¾) s’expliquent par des facteurs tels que la grande souplesse grammaticale de la langue grecque – elles sont tellement insignifiantes qu’elles ne sont souvent même pas traduisibles dans d’autres langues telles que le français et l’anglais – ou encore comme étant des coquilles non-sens pouvant aisément être écartées.

En outre, il faut garder à l’esprit que ces 6000+ manuscrits néotestamentaires totalisent environ 2.7 millions de pages (pour une longueur moyenne d’environ 450 pages par manuscrit), et que lorsque ces ≈ 450 000 variantes sont réparties sur la masse réelle des manuscrits (plutôt que sur un unique texte de base tapuscrit), il n’y a en moyenne qu’une variante par six pages de texte du N.T. Vu sous cet angle, c’est beaucoup moins préoccupant.

Il subsiste, néanmoins, une proportion significative de ces variantes textuelles – aussi appelées leçons au sens technique – qui sont porteuses d’un sens différent. La discipline ayant pour objectif de démêler ces variantes et de déterminer celles qui correspondent au texte original se nomme la basse critique ou critique textuelle (ces deux expressions synonymiques désignant la même démarche).

Définir et décrire le champ d’étude

La basse critique se définit comme étant la « méthode d’analyse de l’Écriture qui traite du texte lui-même de l’Écriture par l’étude des diverses variantes dans les manuscrits anciens » (Paul Enns, Introduction à la théologie, Éditions CLÉ, 2009, p. 708). Cette basse critique se distingue de la haute critique, qui « est le terme consacré pour la détermination de la date, de l’auteur et de la structure d’un livre au moyen de l’examen de preuves internes et externes » (Jacques Blocher et al., Nouveau Manuel de la Bible, Groupes bibliques universitaires, 1994, p. 48).

La critique textuelle se définit comme suit : « La critique textuelle constitue une discipline à part entière […]. Son objet est limité aux phénomènes propres à la copie des textes. Son but est de déterminer, d’après les documents qui sont en notre possession, la forme de texte la plus primitive, c-à-d la plus proche de l’original aujourd’hui perdu. » (Émile Nicole, “Critique biblique”, Grand Dictionnaire de la Bible, Éditions Excelsis, 2010, p. 383).

Voici un schéma simplifié de la diffusion des copies manuscrites du N.T. et de la transmission des variantes textuelles pendant les premiers siècles de l’Ère chrétienne :

Voici quelques éléments explicatifs supplémentaires :

« C’est, qu’en effet, la copie d’un texte aussi long qu’un Évangile représente un véritable tour de force et il peut fort bien s’y glisser des erreurs. Mais la comparaison des manuscrits et la connaissance des méthodes de travail des scribes permettent de dater les versions et de parvenir ainsi au texte authentique. Ce n’est pas une mince affaire, lorsqu’on dispose de milliers de manuscrits. Néanmoins, ceux qui s’y sont consacrés reconnaissent que le Nouveau Testament s’est remarquablement [bien] conservé (nettement mieux que la plupart des grands textes classiques [de l’Antiquité gréco-romaine]). » (Leon Morris, “Les Évangiles et la critique contemporaine”, La Bible déchiffrée : Introduction à la lecture de la Bible, Ligue pour la lecture de la Bible, 1977, p. 531).

« Il ne s’agit pas de ‹ critique › au sens courant d’appréciation défavorable, mais au sens d’analyse attentive. […] Il y a presque deux mille ans, les évangélistes rédigèrent en grec quatre Évangiles. Nous n’avons pas les manuscrits originaux nés de la plume des évangélistes, ni d’ailleurs aucun original d’aucun livre du N.T. Ce que nous avons, ce sont beaucoup de copies manuscrites en grec réalisées pendant quelque mille quatre cents ans, entre 150 [ou un peu plus tôt] et l’invention de l’imprimerie [vers 1454]. Souvent, mais généralement sur des points de détail, ces copies diffèrent entre elles en raison de fautes ou de modifications des copistes. La comparaison des différences entre les copies grecques (aussi bien qu’entre d’anciennes traductions et citations du N.T.) est appelée critique textuelle. » (Raymond Brown, Que sait-on du Nouveau Testament ?, Bayard Éditions, 2000, p. 56-57).

« Au fil du temps, la transmission du texte a donc souffert d’erreurs accidentelles ou de changements volontaires, qui l’ont éloigné du texte original […]. La critique textuelle désigne la démarche par laquelle on recherche la formulation originale de l’auteur en comparant les diverses copies et traductions du texte biblique. Il ne s’agit pas de trouver des erreurs mais d’évaluer les formes connues du texte aujourd’hui. […] On n’a aucun doute sur la majeure partie du texte biblique. Là où des variantes – [c-à-d] des différences entre les copies existantes – apparaissent, la formulation originale peut généralement être déterminée avec un haut degré de certitude, grâce aux manuscrits disponibles. […] La présence d’erreurs textuelles n’est pas une raison de considérer la Bible comme non fiable. » (Collectif, “La critique textuelle”, Bible Segond 21 avec notes d’étude archéologiques et historiques, Société biblique de Genève, 2022, p. 1043).

Les différents témoins et leurs abréviations standardisées

« Pour plus de clarté on peut subdiviser les principales sources [appelées ‹ témoins textuels › au sens technique] utilisées pour l’établissement du texte du Nouveau Testament en trois catégories :
1. Plus de 5300 [6000] manuscrits (des copies du Nouveau Testament conservées de façon plus ou moins complète ou des portions de celui-ci) rédigés en grec, dont le plus ancien (le papyrus 52 contenant Jn 18.31-33, 37-38) est ordinairement daté d’environ 125 ap. J.-C. Comme les plus anciens d’entre eux sont écrits en onciales ou majuscules (d’abord sur papyrus, puis sur parchemin) et les manuscrits ultérieurs (à partir du IXe siècle) en minuscules, on distingue des ‹ papyrus ›, des ‹ onciaux › et des ‹ minuscules › [ou ‹ cursifs ›].
2. Des centaines de copies des premières traductions [appelées ‹ versions › au sens technique] dans les langues du bassin méditerranéen (latin, syriaque, copte, etc.) qui remontent jusqu’au IIe siècle.
3. Une foule de citations bibliques dans les écrits des auteurs de l’Église ancienne (des ‹ Pères de l’Église ›) qui fournissent une aide importante pour situer géographiquement et chronologiquement les variantes textuelles trouvées dans les manuscrits. » (Heinrich von Siebenthal, “Nos traductions du Nouveau Testament ont-elles une base textuelle fiable ?”, Théologie évangélique (FLTÉ), 2:3, 2003, p. 226-227).

Afin de faciliter leur tâche, les praticiens de la critique textuelle attribuent des abréviations standardisées (sigles, numéros, etc.) aux manuscrits et autres témoins textuels avec lesquelles ils travaillent. Une connaissance basique de l’identité, de l’abréviation et des caractéristiques sommaires des principaux témoins textuels du N.T. est un préalable obligé pour quiconque veut vraiment se débrouiller dans le domaine de la critique textuelle du N.T. J’ai justement l’intention de m’exprimer un utilisant ces abréviations dans mes futurs articles de la présente série sur ce thème. Malgré que ce méandre d’abréviations codifiées soit très rebutant pour les débutants, une fois qu’on maîtrise passablement bien les principales d’entre-elles, on se rend vite compte qu’elles sont fort utiles car elles permettent de s’exprimer avec beaucoup plus de simplicité !

La plupart des dictionnaires bibliques ou des encyclopédies théologiques contiennent au moins un noyau de renseignements essentiels sur l’histoire du texte biblique et la critique textuelle s’y rapportant (je recommande, par exemple, l’article de Jacques Buchhold intitulé “Manuscrits et texte du Nouveau Testament” paru dans La foi chrétienne et les défis du monde contemporain, Éditions Excelsis, 2013, p. 214-219). Pour le bénéfice des internautes n’ayant pas accès à de telles ressources en format papier, je reproduit ci-dessous quelques extraits d’ouvrages de référence en cette matière.

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Informations élémentaires sur les mss onciaux des Évangiles venant de la “Liste des manuscrits grecs du N.T. en lettres onciales et des manuscrits des anciennes versions” figurant dans le Nouveau Testament d’Edmond Stapfer (1889, p. 19-35) traduit par ce philologue & pasteur réformé français (qui fut doyen de la Faculté de théologie protestante de Paris) via le texte de base grec établi par le bibliothécaire luthérien allemand Oscar von Gebhardt en 1886 :

(N.B. 347 folios du Codex Sinaïticus (01) sont conservés à la British Library de Londres depuis 1933 ; 43 folios sont conservés à la Universitätsbibliothek Leipzig en Haute-Saxe depuis 1845 ; 12 folios demeurent au Monastère de Sainte-Catherine du Sinaï en Égypte où ils furent découverts en 1975. Quant au Codex Alexandrinus (A02), il n’est en fait un représentant du texte-type dit alexandrin que dans Actes, les Épîtres et Apocalypse ; dans les Évangiles il est plutôt un représentant du texte-type byzantin, mais d’un stade primaire de ce type car il ne contient pas des insertions textuelles plus tardives comme la finale longue de Marc ou la pericope adulteræ. Nous étudierons en détail ce phénomène des textes-types dans un article ultérieur de la présente série.)

Certaines abréviations provenant du Nestle-Aland Greek-English New Testament (pages liminaires) publié par la Société biblique allemande en 1985 (portant le texte de base grec NA26 édité en 1979 par l’Institut de recherche néotestamentaire de Münster en Westphalie) :

Certaines abréviations provenant du Greek New Testament (pages liminaires) publié par la Société biblique allemande à Stuttgart au Würtemberg en 1998 (portant le texte de base grec UBS4 édité en 1993 par l’Alliance biblique universelle) :

Les abréviations des corrections scribales dans les manuscrits expliquées par le professeur & théologien réformé étatsunien Benjamin Breckinridge Warfield (1851-1921) dans son livre An Introduction to the Textual Criticism of the New Testament paru en 1886 (p. 48-49) :

Ressources additionnelles

Voici en outre quelques liens vers du contenu gratuit en français sur la toile permettant d’acquérir ou de peaufiner cette culture générale :

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Pour les internautes préférant le format audiovisuel, voici un assez bon vidéo d’introduction à la critique textuelle en français (je n’endosse pas certains des autres vidéos adventistes de Theoloji, mais celui-ci est correct) :

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Pour les internautes maîtrisant l’anglais, je recommande ces trois séries de webinaires sur la critique textuelle du Nouveau Testament, que voici en ordre de complexité croissante…

{1} “How We Got the Bible” (Finnegan)

Sean Finnegan est un pasteur unitarien conservateur dans l’État de New York. Sachez toutefois que dans cette série de 24 épisodes (dont seuls les épisodes 6 et suivants portent sur le N.T.), il s’en tient à une ligne orthodoxe (pas anti-trinitaire) jusqu’à l’épisode 18 inclusivement.

Hyperlien direct vers la série sur YouTube.

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{2} “Introduction to NT Textual Criticism” (Snapp)

James Snapp est un pasteur évangélique en Indiana, un blogueur assidu sur The Text of the Gospels ainsi qu’un défenseur convaincu de l’authenticité de la finale longue de l’Évangile selon Marc (Mc 16:9-20).

Hyperlien direct vers la série sur YouTube.

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{3} “Introduction to New Testament Textual Criticism” (Wallace)

Daniel Wallace est un spécialiste du grec antique, un professeur d’études néotestamentaires au Dallas Theological Seminary (DTS) au Texas, ainsi que le directeur-exécutif du Center for the Study of New Testament Manuscripts (CSNTM).

Hyperlien direct vers la série sur YouTube.

Hyperlien vers la série sur BiblicalTraining.org (version intégrale – 36 épisodes).

Hyperlien vers la série sur BiblicalTraining.org (version condensée – 6 épisodes).

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« Faire preuve de scepticisme quant au texte final du Nouveau Testament, c’est permettre à toute l’Antiquité classique de sombrer dans l’obscurité, car il n’existe aucun [autre] document de cette période ancienne qui bénéficie d’un témoignage bibliographique aussi [bien] attesté que le Nouveau Testament. » — John Warwick Montgomery, History and Christianity, 1971, p. 29

« J’ose même dire que ce grand nombre de variétés [dans les manuscrits grecs du N.T.] leur doit donner plus d’autorité que s’il n’y en avait aucune. Car il est impossible qu’un livre qui a passé par tant de mains demeure toujours le même, à moins qu’on ne l’ait corrigé [c-à-d qu’on ait fait une *recension* sélective], et qu’on ait dans la suite suivis exactement cette correction [c-à-d cette recension], comme il est arrivé aux juifs à l’égard du texte hébreu du Vieux Testament. Il est avantageux à un livre qu’il y en ait plusieurs exemplaires différents, afin qu’on puisse mieux juger des véritables leçons. Et c’est en quoi on doit préférer les livres du Nouveau Testament à la plupart des autres, parce que la religion chrétienne ayant été répandue en tant de différents pays, chaque nation en a eu des copies ou des versions. » — Richard Simon, Histoire critique du texte du N.T., 1689, p. 338

« Ce sont ces différentes copies sur lesquelles nous devons aujourd’hui nous régler, puisque nous n’avons plus le premier Original. On cherchera donc le plus exactement qu’il sera possible les exemplaires grecs manuscrits et même les plus anciennes versions [c-à-d traductions] qui ont été faites sur le grec. Il ne faut point s’appuyer sur une édition grecque plutôt que sur une autre, si elle n’est appuyée sur de meilleurs manuscrits. » — Richard Simon, Histoire critique du texte du N.T., 1689, p. 338

« Madame, puisqu’il a plu à Dieu, en retirant de ce monde le feu roi votre mari [Antoine de Bourbon (1518-1562)], vous remettre la charge de vos pays et sujets, vous faites très bien de penser à vous acquitter de votre devoir, comme ayant à rendre compte à un Maître et Souverain Prince [c-à-d l’Éternel], lequel veut que son droit lui soit gardé {Psaumes 72:11 ; Romains 14:10}. Car en commandant qu’on le craigne et qu’on honore les rois {1 Pierre 2:17}, puisqu’ils vous fait cet honneur de vous associer à soi, c’est bien raison que vous mettiez toute peine à lui faire hommage et reconnaissance de l’état et dignité que vous tenez de lui {Romains 13:1}, et comme vous ne voudriez souffrir que la supériorité qui vous appartient vous fut ravie par vos officiers, aussi faut-il bien, si vous désirez d’être maintenue sous la protection de Dieu, que vous donniez ordre, en tant qu’en vous sera, qu’il soit servi et honoré de tous, montrant exemple à ceux qui doivent ensuivre.

Et de fait, Madame, voilà comment votre règne sera établi devant lui [c-à-d l’Éternel] : c’est en lui assujettissant votre majesté. Vous savez que tous genoux doivent ployer sous l’empire de notre Seigneur Jésus-Christ {Philippiens 2:10-11}, mais notamment il est commandé aux rois de les baisser en signe d’hommage {Romains 14:11 ; Matthieu 2:11}, pour mieux spécifier [= exprimer] qu’ils sont tenus plus que les autres à humilier la hautesse qui leur est donnée, pour exalter celui qui est le Chef des anges de paradis, et par conséquent des plus grands de ce monde {Psaume 82:6}. Aussi, Madame, puisque le gouvernement [du Royaume de Navarre, du Duché d’Albret, de la Souveraineté de Béarn, des Comtés de Bigorre, Foix, Rodez, Périgord et Armagnac, des Vicomtés de Limoges, Lomagne, Marsan, Villemur, etc.] est aujourd’hui entre vos mains, connaissez que Dieu veut tant plus éprouver le zèle et la sollicitude que vous avez de vous acquitter fidèlement à mettre sus le vrai service qu’il demande. Il y a plusieurs raisons qui m’empêchent de déduire [= traiter] cet argument plus au long.

C’est aussi qu’il est enjoint [par l’Écriture Sainte] à tous ceux qui ont domination de purger leurs terres de toutes idolâtries et souillures dont la pureté de la vraie religion est corrompue. Et quand saint Paul commande de prier pour les rois et ceux qui sont en prééminence, ce n’est pas sans cause qu’il ajoute à raison : ‹ afin que nous vivions sous eux en toute piété et honnêteté › {1 Timothée 2:1-2}. Devant que parler des vertus civiles, il met la crainte de Dieu, en quoi il signifie que l’office des princes est de procurer que Dieu soit adoré purement.

Je considère les difficultés qui vous peuvent débiliter [= affaiblir] le courage et ne doute pas, Madame, que tant de conseillers que vous aurez autour de vous, s’ils regardent ce monde, ne tâchent à vous empêcher. Mais il est certain que toute crainte des hommes qui nous détournent de faire à Dieu l’honneur qu’il mérite, et nous induit à le frauder de son droit, nous rend convaincus que nous ne le craignons pas à bon escient et n’estimons guère sa vertu invincible de laquelle il a promis nous garantir.

Parquoi [= c’est pourquoi], Madame, afin de surmonter toutes difficultés, appuyez-vous sur l’assurance qui vous est donnée d’en haut quand vous obéirez à ce que Dieu requiert. Ce sont les deux points où il vous convient avoir vos deux yeux fichés [= fixés], et même ils vous doivent servir d’ailes à vous élever par-dessus tous les obstacles du monde : à savoir ce que Dieu ordonne, et qu’il ne faudra à [= ne manquera pas de] vous tenir la main forte pour venir à bout de tout ce que vous attendrez [= entreprendrez] en son obéissance.

Or je sais les disputes que certains émeuvent [= soulèvent] pour montrer que les princes ne doivent pas contraindre leurs sujets à vivre chrétiennement {cf. Sébastien Castellion, Ami Perrin, Menno Simons, et autres antinomiens}. Mais c’est une dispense trop profane de permettre à celui qui ne veut rien quitter du sien, que son supérieur soit fraudé de son droit. Et si ce n’était assez du commandement, cette menace nous doit bien faire trembler : que tout royaume qui ne servira à celui de Jésus-Christ sera ruiné, car cela se rapporte proprement à l’état de l’Église chrétienne {Matthieu 12:25}. Ainsi quelques belles excuses qu’amènent ceux qui veulent colorer [= légitimer] leur lâcheté, je vous prie, Madame, de ne point préférer l’honneur qu’il vous a donné, et ce point vous sera tantôt bien résolu.

Il reste en second lieu de vous armer de ses promesses, afin que votre foi soit victorieuse par-dessus le monde, comme dit saint Jean {1 Jean 5:4}, et ici, qu’il vous souvienne de ce qui est dit au prophète Ésaïe et allégué par saint Pierre, de ne nous point étonner de la frayeur de nulle multitude, mais sanctifier le Seigneur des armées, afin qu’il soit notre forteresse {1 Pierre 3:14-15 ; Ésaïe 8:12-13}.

Je sais, Madame, combien vous êtes épiée de votre voisin {Philippe II roi d’Espagne et du Portugal, fer de lance de la Contre-Réforme catholique} qui ne faudra [= manquera] pas, s’il le peut, à prendre occasion de troubler : mais en craignant Dieu, vous ne les craindrez point. Ce ne sera pas [votre] zèle qui l’émouvra, encore qu’il en fasse une fausse couverture. Voyant donc qu’il vous aguette pour vous nuire, fortifiez-vous de meilleure défense que vous puissiez avoir. Que si Dieu permet que les malins s’efforcent à vous faire quelque molestie [= préjudice], que l’histoire mémorable du roi Ézéchias vous vienne en mémoire. Car combien que Dieu lâchât la bride à l’ennemi pour l’assaillir tantôt après qu’il eut abattu les superstitions, et même qu’il lui fut reproché par Rabshaké que Dieu ne lui aiderait pas, vu qu’il avait abattu les autels, toutefois le secours admirable qui lui vint soudain du Ciel vous est matière suffisante pour défier tous ceux qui cuideront [= s’imagineront] avoir avantage sur vous sous ombre [= prétexte] du changement {2 Rois 18 à 20}.

Cependant, Madame, je ne dis pas que tout se puisse faire en un jour. Dieu vous a donné prudence pour juger de la procédure qui vous aurez à tenir, les circonstances aussi vous enseigneront quels moyens seront les plus propres. Et pour ce que le papier ne peut tout comprendre, j’ai remis la plus grand’part au porteur, lequel je vous ai choisi pour le plus suffisant [= capable] que j’eusse en main, selon que j’espère bien que [vous] le trouverez tel par expérience {ce ‹ porteur › fut l’hébraïste & diplomate Jean-Raymond Merlin, lequel, une fois arrivé dans les Pyrénées, organise la jeune Église réformée du Béarn (qui s’étend aussi à la Soule, à la Basse-Navarre et au Labourd), répartit ses paroisses entre cinq colloques, modère son premier Synode national en septembre 1563 où est adoptée une Discipline ecclésiastique du Pays de Béarn, et enfin traduit le Catéchisme de Genève en occitan béarnais en 1564 avant de repartir pour la Suisse}.

J’ai impétré [= obtenu] tant de notre Compagnie {des pasteurs de Genève} que de nos Seigneurs [le nom officiel de la République de Genève était alors ‹ Seigneurie de Genève ›, Calvin réfère donc ici probablement aux quatre Syndics de Genève] que vous en ayez la jouissance pour le temps que vous l’avez fait demander, et tous s’y sont volontiers accordé, pour ce qu’il n’y a celui qui [= car il n’y a personne qui] ne désirât de s’employer entièrement à votre service.

Seulement je dirai ce mot, Madame, que votre plus aisé [= le plus facile pour vous] sera de commencer aux lieux qui semblent les plus difficiles, pour être [= parce qu’ils sont] les plus apparents, car ils se rangeront avec moins de bruits, et si vous en avez gagné un, il tirera après soi plus longue queue [= plus d’imitateurs]. Je ne vous avertis pas que votre présence y sera toute requise, comme aussi qu’il faudra faire telles provisions les unes sur les autres [= prendre une série de mesures pour] que les ennemis soient rompus ou fort affaiblis, avant d’entrer en combat manifeste.

S’il vous plaît aussi, Madame, de mettre en effet ce que vous avez délibéré, ce sera un acte digne de votre Majesté et autant utile à la Chrétienté qu’il serait possible, c’est d’envoyer [une ambassade] vers les Princes [protestants] d’Allemagne pour les prier et exhorter à continuer la bonne affection qu’ils ont montrée à soutenir la cause de notre Seigneur. Il se faudrait adresser au Comte Palatin Électeur {Frédéric III du Palatinat}, au Duc Auguste de Saxe, du Duc {Christophe Ier} de Würtemberg, au Landgrave {Philippe} de Hesse, mais le plus tôt serait le meilleur. Je vous supplie donc, Madame, de hâter cette dépêche. Je laisse le reste au porteur à dire de bouche.

Madame, après vous avoir présenté mes très humbles recommandations à votre bonne grâce, je supplierai le Père céleste vous tenir en sa sainte garde, vous gouverner par son Esprit en toute prudence, vous fortifier en vertu et constance et accroître votre Majesté en tout bien. »

Source : Francis Higman et Bernard Roussel, Calvin : Œuvres, Éditions Gallimard – Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 2009, p. 378-381 (texte) et 1219-1221 (notules) sur 1432.

Dans le texte ci-dessus, les références bibliques et autres mentions entre accolades proviennent pour la plupart des notules figurant en fin de volume (p. 1219-1221). Les mots ou expressions archaïques (ou ayant changés de sens) en italiques suivis d’une précision entre crochets débutant par le signe égal [= blablabla] proviennent pour la plupart des notes infrapaginales placés sous le corps du texte (p. 378-381) ; quelques-unes de ces précisions viennent toutefois du lexique inséré dans l’Introduction à la réédition des œuvres de Pierre Viret publiée dans le tome 1 de l’Instruction chrétienne en la doctrine de la Loi et de l’Évangile (1564) de Pierre Viret rééditée par Arthur-Louis Hofer via les Éditions L’Âge d’Homme à Lausanne en 2004. J’ai apporté quelques modernisations orthographiques mineures à ce texte de la Bibliothèque de la Pléiade.

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Pays souverains et fiefs français de Jeanne d’Albret au nord des Pyrénées en 1555-1572 :

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Domaines des Rois de Navarre en 1527 — Notez toutefois que la Haute-Navarre (au sud des Pyrénées) avait été conquise par les Royaumes de Castille et d’Aragon en 1512 puis annexée en 1515 par la Castille (invasion bénie par le pape qu’une tentative de reconquête en 1521-1522 échoua à repousser) :

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Monnaie (demie-livre) navarro-béarnaise frappée à Morlaàs au Béarn en 1573 puis 1575 arborant les emblèmes du Royaume de Navarre (carreaux supérieur gauche & inférieur droit), de la Souveraineté du Béarn (carreau supérieur droit) et de l’Héritage de Bourbon (carreau inférieur gauche) :

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Armoiries de la Ville de Nérac, l’ancienne capitale du Duché d’Albret, aujourd’hui une sous-préfecture du Département de Lot-et-Garonne (la devise Christ soleil de justice remonterait à Jeanne d’Albret ou à sa mère Marguerite d’Angoulême) :

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Églises protestantes dans l’extrême Sud-Ouest de la France en 1851 (carte produite par le MIP permettant de constater un certain ancrage de la Réformation de Jeanne d’Albret dans la longue durée) :

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Églises protestantes dans le Sud-Ouest de la France en 1923 (carte produite par la FPF) — Chaque point noir correspond à une communauté ayant un seul pasteur et chaque point transparent à une communauté ayant deux pasteurs ou plus :

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Le Béarn et le Pays basque « français » (composé de la Soule, de la Basse-Navarre et du Labourd) formant l’actuel Département des Pyrénées-Atlantiques :

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Quelques hyperliens sur ce thème :

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L’intégralité du contenu de la revue réformée francophone Résister et Construire (352 articles répartis dans 33 tomes parus de 1997 à 2005) est maintenant accessible gratuitement sur le nouveau site web “Alliance, Loi et Évangile”.

Les numéros du périodique de l’Association vaudoise de parents chrétiens (AVPC) seront également mis en ligne sur ce même site web dans le futur.

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La Cour suprême [des États-Unis d’Amérique] a rendu vendredi [le 24 juin 2022] un arrêt dans l’affaire Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization. Elle a renversé l’arrêt Roe c. Wade, qui légalisait l’avortement au niveau fédéral [états-unien]. L’enjeu de l’affaire était de savoir si toutes les restrictions à l’avortement avant la viabilité [des enfants à naître] sont anti-constitutionnelles, ou non.

« La Constitution ne confère pas un droit à l’avortement ; Roe et Casey sont annulés ; et le pouvoir de réglementer l’avortement est rendu au peuple et à ses représentants élus », peut-on lire dans la décision. Le juge Alito a rédigé l’opinion, comme on pouvait s’y attendre sur la base du projet de mai qui avait fait l’objet d’une fuite. Il conteste l’arrêt Roe pour des raisons constitutionnelles, affirmant que la décision de 1973 avait arraché le droit à chaque État d’en décider pour lui-même.

La décision, dont un avant-goût avait été divulgué fin avril, annule essentiellement la décision historique de 1973 dans l’affaire Roe c. Wade qui a légalisé l’avortement au niveau fédéral. Désormais, la décision de légaliser ou non l’avortement revient aux États [fédérés].

Le juge Samuel Alito a émis l’opinion, et a été rejoint par Gorsuch [nommé par Trump en 2017], Kavanaugh [nommé par Trump en 2018] , Barrett [nommé par Trump en 2020] et Thomas [ainsi que le juge en chef Roberts]. Les dissidents étaient Breyer, Sotomayor et Kagan. La décision se lit comme suit :

« La Constitution ne fait pas expressément référence à un droit d’obtenir un avortement, mais plusieurs dispositions constitutionnelles ont été alléguées comme foyers potentiels d’un droit constitutionnel implicite [à cet effet]. Selon Roe, le droit à l’avortement fait partie d’un droit à la vie privée qui découle des 1er, 4ème, 5ème, 9ème et 14ème amendements. […]. »

[Le jugement poursuit :] « L’arrêt Casey a fondé sa décision uniquement sur la théorie selon laquelle le droit d’obtenir un avortement fait partie de la ‹ liberté › protégée par la clause de procédure régulière du 14ème amendement. D’autres ont suggéré que l’on pouvait trouver un soutien dans la clause de protection égale du 14ème amendement, mais cette théorie est carrément exclue par les précédents de la Cour, qui établissent que la réglementation de l’avortement par un État n’est pas une classification fondée sur le sexe et n’est donc pas soumise à l’examen approfondi qui s’applique à de telles classifications. »

La Cour a ensuite examiné « si le droit d’obtenir un avortement est enraciné dans l’histoire et la tradition de la nation et s’il constitue une composante essentielle de la ‹ liberté ordonnée ›. » Elle a conclu que « le droit à l’avortement n’est pas profondément enraciné dans l’histoire et la tradition de la nation. La théorie sous-jacente sur laquelle reposait l’arrêt Casey – à savoir que la clause de procédure régulière du 14ème amendement offre une protection substantielle, ainsi que procédurale, de la ‹ liberté › – est depuis longtemps controversée. »

En renvoyant la décision sur la légalité de l’avortement aux États [fédérés], la Cour écrit que « la compréhension historique qu’a la nation de la liberté ordonnée n’empêche pas les représentants élus du peuple de décider comment l’avortement devrait être réglementé ». La Cour défend également la validité d’une « vie potentielle », déclarant, dans son annulation de Roe et Casey, que « les tentatives de justifier l’avortement par des appels à un droit plus large à l’autonomie et à la définition du ‹ concept d’existence › de chacun s’avèrent excessives ».

« Ces critères, à un haut niveau de généralité, pourraient autoriser les droits fondamentaux à la consommation de drogues illicites [sic], à la prostitution et autres. Ce qui distingue nettement le droit à l’avortement des droits reconnus dans les affaires sur lesquelles s’appuient Roe et Casey est quelque chose que ces deux décisions ont reconnu : L’avortement est différent parce qu’il détruit ce que Roe appelle une ‹ vie potentielle › et ce que la loi contestée dans cette affaire appelle un ‹ être humain non né ›. »

« Aucune des autres décisions citées par Roe et Casey n’impliquait la question morale critique posée par l’avortement. En conséquence, ces affaires ne soutiennent pas le droit d’obtenir un avortement, et la conclusion de la Cour selon laquelle la Constitution ne confère pas un tel droit ne les remet [ces autres droits] nullement en cause. »

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Pour Alito, la viabilité était une préoccupation majeure. Il a noté qu’en vertu de la décision précédente [soit Roe ou Casey], « chaque trimestre de la grossesse était réglementé différemment, mais la ligne la plus critique était tracée à peu près à la fin du deuxième trimestre [c’est-à-dire à six mois de grossesse], ce qui, à l’époque, correspondait au moment où l’on pensait que le fœtus atteignait la ‹ viabilité ›, c’est-à-dire la capacité de survivre en dehors de l’utérus. Bien que la Cour avait reconnu que les États avaient un intérêt légitime à protéger la « vie potentielle », elle avait estimé que cet intérêt ne pouvait justifier aucune restriction sur les avortements de pré-viabilité. »

La science médicale s’est accélérée au point que même les bébés nés à seulement 21 semaines de gestation sont capables de survivre avec une aide médicale. Alito a cité la loi du Mississippi qui a été contestée, et qui se lit comme suit : « Sauf en cas d’urgence médicale ou d’anomalie grave du fœtus, une personne ne doit pas, intentionnellement ou sciemment, pratiquer ou provoquer l’avortement d’un être humain à naître si l’âge gestationnel probable de l’être humain à naître a été déterminé comme étant supérieur à quinze (15) semaines. »

Il a fait remarquer que cette décision des législateurs du Mississippi était étayée par le fait que « au moment de la promulgation de la loi, seuls six pays autres que les États-Unis autorisaient l’avortement non thérapeutique ou facultatif sur-demande après la vingtième semaine de gestation ». Ces législateurs avaient étudié le processus de gestation et la croissance du bébé à naître, déterminant que l’interruption de grossesse, même à 12 semaines, « pour des raisons non thérapeutiques ou facultatives est une pratique barbare, dangereuse pour la patiente et dégradante pour la profession médicale ».

Concernant la dissidence de cette opinion : « La dissidence est très franche sur le fait qu’elle ne peut pas montrer qu’un droit constitutionnel à l’avortement a un quelconque fondement – et encore moins un fondement ‹ profondément enraciné › – ‹ dans l’histoire et la tradition de cette nation ›. »

Dobbs c. Jackson Women’s Health Organization a testé une loi du Mississippi qui interdisait la plupart des avortements après 15 semaines de grossesse. Les tribunaux inférieurs ont empêché la promulgation de cette loi, car elle était directement contraire à une décision antérieure dans l’affaire Planned Parenthood c. Casey qui empêchait les États [fédérés] d’interdire l’avortement dans les 24 premières semaines de gestation.

Plusieurs États ont déclaré qu’ils deviendraient des États sanctuaires pour l’accès à l’avortement, notamment la Californie, New York, le New Jersey, le Connecticut et le Colorado. De nombreux États, comme l’Oregon, autorisent déjà l’avortement sur-demande jusqu’au troisième trimestre [inclusivement]. D’autres États ont adopté des lois qui restreignent drastiquement l’avortement, comme le Texas, le Mississippi, l’Oklahoma [et une vingtaine d’autres].

Les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies [une agence gouvernementale fédérale] indiquent qu’il y a eu 629 898 avortements aux États-Unis en 2019, mais ils s’appuient sur des données déclarées volontairement ; or la Californie, le Maryland et le New Hampshire n’ont pas communiqué leurs totaux. Ce nombre est plus élevé que les 619 591 avortements déclarés volontairement en 2018, et que les 612 719 avortements de 2017. L’Institut Guttmacher [un lobby gauchiste pro-avortement] compile ses données en contactant chaque fournisseur d’avortement du pays et utilise les données des départements de santé [publics], et a constaté qu’il y avait eu 862 320 avortements en 2017. Aucun de ces chiffres ne tient compte de l’utilisation des pilules abortives obtenues en vente libre.

Source originale : Breaking : Supreme Court Overturns Roe v. Wade sur The Post Millennial.

Traduction française par Le Monarchomaque.

Affiches pro-vie ci-dessus glanées sur Reformed Perspective.

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Reportage produit et diffusé par le Musée de l’Armée :

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Reportage produit et diffusé par la Fondation Napoléon :

Petite précision sur l’allusion au droit civil dont le Canada « s’enorgueillit » ↑ : En réalité, sur les treize provinces ou territoires de la Fédération canadienne, seule la Province du Québec conserve la tradition civiliste française comme socle de son appareil législatif ; cela en droit privé (dérivé de la Coutume de Paris) mais pas en droit public – pénal et administratif – où ce sont plutôt les normes découlant de la common law anglaise qui ont force de loi. Cette situation singulière se nomme le « bijuridisme québécois » ou encore le « bijuridisme canadien ». Notons toutefois que certains juristes francophones hors-Québec conservent malgré tout un attachement identitaire à l’héritage civiliste, phénomène observable par le fait que certains title attorneys et autres common lawyers acadiens des Maritimes prennent le titre explicitement civiliste de « notaire » (et pas dans le sens très limitatif de notary public, appellation qui ne désigne qu’un simple commissaire à l’assermentation dans les systèmes de common law).

Petite précision sur le principe de la « non-confessionnalité de l’État » ↑ apparemment instituée par le Code civil des Français de 1804 : L’existence légale de cette « non-confessionnalité » est fort discutable vu le régime concordataire alors en place (cf. le Concordat de Napoléon) faisant du catholicisme romain, du protestantisme luthéro-réformé et du judaïsme rabbinique des cultes financés et réglementés par la 1ère République française…

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Ressources connexes sur l’histoire du droit civil romano-byzantin / romano-germanique :

Ressources connexes sur l’histoire de la codification de Bonaparte :

Ressources connexes sur l’histoire de la politique religieuse bonapartiste :

Documentaire sur l’histoire des sociétés chrétiennes nubiennes d’Afrique de l’Est médiévale produit par Kings & Generals :

Documentaire sur la chute d’Alexandrie en Égypte, la conquête musulmane de l’Afrique du Nord et le coup d’arrêt providentiel porté à l’expansion du califat djihadiste sur l’axe du Nil par les excellents archers nubiens en l’an de grâce 642 (segment de 11:33 à 14:52) :

Résumé en français emprunté à l’Encyclopédie Universalis :

Après la destruction par les Axoumites du Royaume de Méroé, qui contrôla jusqu’au IIIème siècle le haut Nil de la première à la sixième cataracte [voir cartes ci-dessous ↓], trois royaumes émergent : du nord au sud, Nobatia (dont le nom vient des Nobates, tribus païennes de pasteurs installés dans le sud de l’Égypte), Maqurra et Alodia (ou Aloa) dont les capitales respectives sont Faras, Dongola et Soba. Ces royaumes combinent, comme Méroé, les traditions égyptiennes et nubiennes avec des influences coptes venues d’Alexandrie. La diffusion du christianisme y est importante à partir du VIème siècle, mais dès le VIIème siècle, ils sont confrontés à l’islamisation de l’Égypte. Ils négocient alors le maintien de leur indépendance en échange d’un tribut annuel. Au VIIIème siècle, les deux royaumes du nord s’unifient et les deux États, Dongola [= Maqurra] et Soba [= Alodia], connaissent une réelle prospérité jusqu’au début du XIIIème siècle. Leurs relations avec les sultans fatimides sont excellentes au XIIème siècle [notamment grâce à l’influence du haut-fonctionnariat chrétien arménien sur cette dynastie (fatimide) chiite atypique]. Les souverains s’appuient sur une Église copte florissante, qui a laissé nombre de basiliques et de monastères (par exemple à Faras). Un commerce actif se développe avec l’Égypte, mais aussi avec le Soudan central et la côte de la mer Rouge : les exportations d’or, d’ivoire et de peaux venant de Nubie sont réputées. Il anime un réseau de villes prospères qui sont des centres à la fois politico-religieux et économiques. Au XIVème siècle, l’Égypte réussit à assujettir la région qui, dès lors, s’arabise et s’islamise. Le Royaume de Dongola [= Maqurra] disparaît complètement vers 1350 et celui de Soba [= Alodia] au début du XVIème siècle.

Cartographie nubienne 101

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Carte des royaumes chrétiens de Nubie jalonnant le Nil {Afriques}

Carte des États nubiens de Makurie et d’Alodie en Afrique orientale (les juridictions chrétiennes sont en brun, islamiques en vert et animistes en gris) {Kings & Generals}

La Nubie et le Nouveau Testament

La Faculté de théologie de l’Université catholique de Lille offre un cours intitulé Quand le Soudan était chrétien ; son synopsis signale une anecdote intéressante sur la relation entre la Bible chrétienne et la civilisation nubienne (l’Université de Lyon offre un séminaire similaire, Chrétiens et musulmans dans la vallée du Nil au Moyen Âge) :

Dans les Actes 8:27-39, le diacre Philippe baptise l’eunuque de la reine Candace « d’Éthiopie ». Mais qui était cette reine ? Et quel était son royaume ? En fait, « Candace » était le titre des reines de Méroé, c’est-à-dire de la Nubie, correspondant à l’actuel Soudan septentrional. Après l’effondrement du royaume méroïtique, au IVème siècle, trois principautés (la Nobadie, la Makourie et l’Alodie) lui succédèrent et furent christianisées au VIème siècle à partir de l’Égypte. S’y développa un christianisme original, en lien avec l’Église copte. Au VIIème siècle, la Nubie résista à la conquête musulmane et le christianisme s’y maintint jusqu’au début du XIVème siècle. Le cours retracera l’histoire de cette Nubie chrétienne si méconnue dans tous ses aspects (rapport avec la royauté, architecture sacrée, littérature, etc.). Il rappellera aussi brièvement ce que fut l’histoire de la région postérieure à l’islamisation au XIVème siècle, jusqu’au Soudan actuel.

L’historien africaniste Bernard Lugan nous fournit l’explication de ce glissement sémantique du Nouveau Testament entre la Nubie et l’Éthiopie (Revue Conflits, 12 mars 2021) :

Le nom même d’Éthiopie est connu depuis l’Antiquité. Pour les Grecs, il ne désignait pas un pays en particulier mais les immensités situées au sud de l’actuel Soudan et qui étaient peuplées par ceux qu’ils appelaient Aithiops ou « visages brûlés ». Quant à l’Éthiopie-État, elle se construisit encore plus au sud, sur un plateau fertile et arrosé dominant les terres basses de l’Érythrée, de la Somalie et du Kenya, à l’abri des montagnes encadrant le plateau abyssin d’où sortent le Nil bleu, l’Omo, le Juba et le Shebelé.

Cette relation entre la culture nubienne et la civilisation hellénique n’est pas qu’anecdotique, mais aussi linguistique et, bien sûr, spirituelle. Les historiens François-Xavier Fauvelle-Aymar et Bertrand Hirsch soulignent que « les paysans chrétiens du royaume de Makuria parlaient nubien à la maison et grec à l’église » (L’Histoire, N° 367, septembre 2011, p. 46) :

L’Afrique du Nord-Est présente une configuration différente [de celle de l’Afrique de l’Ouest] due au maintien dans la région de formations politiques héritées de l’Antiquité. Dans la vallée du Nil, le royaume chrétien de Makuria domine politiquement le mince couloir fertile qui s’étire de la première cataracte du Nil (aux environs d’Assouan) à la cinquième. Si nombre de sites sont aujourd’hui engloutis sous les eaux du lac Nasser, comme Faras, siège d’un évêché qui a livré aux archéologues une cathédrale (VIIème-XIVème siècle) aux peintures murales exceptionnelles, l’état de la recherche permet d’apercevoir ce royaume sous l’apparence d’un chapelet dense de localités peuplées de paysans chrétiens groupés autour de leur église, parlant nubien à la maison et grec à l’église. Dans les provinces de ce royaume longiligne, l’administration est aux mains de gouverneurs répondant au souverain, dans sa capitale Dongola.

Plus au sud, s’étend un autre royaume chrétien, celui d’Alwa, occupant une vaste portion de territoire autour de l’actuel Khartoum. Sur les hauts plateaux éthiopiens, le vieux royaume chrétien héritier d’Aksoum, tournant le dos à la mer Rouge, a entamé aux alentours du VIIIème siècle un « glissement » vers le sud. C’est une période méconnue où l’on devine l’action de communautés monastiques évangélisatrices et des populations groupées autour d’églises souvent rupestres.

Ressources supplémentaires sur ce thème

Histoire de la Nubie chrétienne [Clio]

Chronologie : De l’antique Nubie au Soudan musulman [Clio]

La Nubie, des royaumes chrétiens à la domination islamique [Academia]

Éthiopie, Nubie, Égypte – Pouvoirs chrétiens et musulmans (XIe-XVe siècle) [Médiévales]

L’intervention égyptienne du roi Cyriaque de Nubie dans l’historiographie copte-arabe et éthiopienne [Hypothèses]

La frontière entre le bilād al-islām et le bilād al-Nūba : Enjeux et ambiguïtés d’une frontière immobile (VIIe-XIIe siècle) [Afriques]